L’archipel des Philippines est une immensité. Plus de 7000 îles. Nous avons toutes les tailles, toutes les formes, servez-vous. Parmi celles-ci, il y a Apo. Dans un des dialectes du coin, cela veut dire vieil homme.

Environ 1 km de long, un village au milieu. Sans route ni voiture ni moto ni tricycle ni truc qui roule en faisant du bruit et en dégageant une odeur d’essence. Pour les Philippines, ça change. Une école, une église, des enfants, beaucoup d’enfants.

Sur la terre ferme, des coqs, des chiens, des chats, des chèvres, quelques vaches. Et quelques centaines d’habitants dans des maisons entremêlées les unes aux autres. Le chemin principal qui tente de se faufiler dans le village vous plonge dans l’intimité de la vie insulaire.

Pas d’eau courante, 3 heures d’électricité par jour (quand tout va bien), une chaleur écrasante. Des hommes se lavent autour d’un puit à l’aide d’un saladier, des femmes étendent le linge, des enfants jouent à la pétanque avec des cailloux. On dit aussi qu’ils organisent des combats d’araignées qu’ils conservent dans des boites d’allumettes cachées dans leurs poches.

Le temps s’est arrêté et je ne sais pas quel jour nous sommes. La seule chose dont je me souviens en arrivant, c’est qu’ici, il se dit qu’on peut nager avec des tortues. On verra demain…

5h30 du matin, évidemment réveillé par le chant des coqs. Je demande à Pinky, qui semble être la gérante du Liberty’s Lodge où je reste 2 nuits, quel est le meilleur endroit pour observer les tortues.

« Tu descends les quelques marches, et une fois sur la plage, tu plonges »

C’est si simple que ça ?

Elle rigole.

Je n’y crois qu’à moitié. Il n’y a personne dans l’eau, pourtant les tortues ça attire les touristes, non ?

J’ai de l’eau jusqu’aux genoux, j’enfile mon masque et je mets la tête sous l’eau.

A 2 mètres de moi, une première tortue. Incroyable. Elle m’ignore, même lorsque je m’en approche un peu plus. Je passe 10 minutes à l’observer manger.

Puis c’est parti, 2 heures dans une eau transparente à 30°C, le long de la plage du village. Ils avaient raison, il y a des tortues. Des dizaines… C’est surréaliste, d’autant plus qu’elles sont ultra paisibles et habituées aux nageurs. J’ai rêvé 1000 fois de cette situation, en moins bien.

Je sors de l’eau émerveillé par la sérénité et l’authenticité de cet endroit, mais inquiet en même temps sur la durabilité d’une telle situation. Plus tard dans la matinée, quelques bateaux touristiques arrivent dans la baie. Ils y viennent pour la journée, des « day tours » sont organisés pour plonger la tête dans l’eau et que chacun puisse avoir SA photo avec une tortue. L’offre hôtelière de cette île volcanique étant très limitée (2 petits hotels et 2-3 homestays dans le village) et les conditions d’hébergement pas au goût de tout le monde, certains préfèrent ne pas y passer la nuit.

Ici les règles sont simples ; « Don’t touch the turtles and the coral, take nothing but pictures, leave nothing but bubbles, do nothing but dive ». C’est un peu le slogan de l’île et on a vraiment envie de le respecter du mieux qu’on peut.

Après discussion avec Pinky, je réalise que le problème environnemental d’Apo ne date pas d’hier. Elle me raconte que lorsqu’elle était enfant, elle pouvait presque faire le tour de l’île en courant sur le sable. Impossible aujourd’hui, une quantité importante du sable ayant été utilisée pour la construction de certaines maisons. Une première empreinte laissée par l’Homme.

En fait, depuis 40 ans, l’île connait d’importants débats socio-écologiques.
A l’origine, face à la population grandissante de l’île et comme dans de nombreux endroits aux Philippines, les pêcheurs sous pression ont eu recours à des méthodes de pèche destructrices pour la faune marine et son habitat :

  • pêche à la dynamite
  • pêche au cyanure, initiée dans les années 60 aux Philippines, pour la collecte de poissons d’aquariums (le cyanure, oui, permet d’engourdir les beaux poissons colorés et de les attraper facilement, mais je vous laisse imaginer les dégâts sur l’écosystème… WWF parle d’1m carré de coraux détruits à jamais pour 1 poisson attrapé au cyanure)
  • pêche « muroami », technique japonaise très efficace mais extrêmement destructrice pour les coraux (de gros blocs de ciments sont jetés sur les coraux pour en faire sortir les poissons qui se retrouvent dans un filet)

Le nombre et la diversité de poissons ont drastiquement baissé pendant des dizaines d’années (de 90 à 95% par endroits). Imposant aux pêcheurs d’aller de plus en plus loin des côtes pour trouver suffisamment de poissons et nourrir leur famille. Une situation qui ne pouvait pas durer, certains pêcheurs de l’époque envisageant de déménager pour survivre en conservant les mêmes méthodes de pêche sur d’autres îles non encore dégradées.

Jusqu’au jour où un homme, Angel Alcala, biologiste philippin et directeur du laboratoire océanographique de l’université de Dumaguete (la ville la plus proche, sur l’île voisine de Negros à une trentaine de km d’Apo) s’est penché sur la question. Son projet, délimiter une zone interdite de pêche autour d’une partie de l’île pour y laisser la nature (re)faire son travail. Ce sanctuaire marin vit le jour en 1982 suite à 3 années de conflits autour du sujet. Finalement, après avoir été conscientisées sur le sujet, 80% des familles de l’île ont voté en sa faveur.

Années après années, le sanctuaire a vu son nombre de poissons augmenter, allant jusqu’à « déborder » sur sa périphérie, facilitant la pêche là où elle est autorisée.

C’est de cette façon que la « pêche responsable » est devenue une partie intégrante de la culture de l’île. La pêche à la dynamite est désormais interdite et les pêcheurs auraient retrouvé leur méthodes traditionnelles. Pour vous faire une idée, les pêcheurs ici partent en mer à la rame dans de toutes petites embarcations, et pêchent généralement à l’aide d’un fil, d’un hameçon, de quelques filets… Autres mauvaises habitudes abandonnées, fini la soupe de tortue au lait de coco et la carapace qui décore le mur du salon.

Qu’en est-il aujourd’hui ?
Aucun chiffre précis n’est disponible mais le nombre de poissons ne ferait qu’augmenter selon les impressions des pêcheurs et les quantités pêchées en devant parcourir une plus faible distance (à la rame!). Les pêcheurs désormais tous convaincus par les bienfaits écologiques et économiques du sanctuaire ont des journées plus courtes, des moments de loisirs (le karaoké et le club de billard ont l’air de bien se porter !) et peuvent même investir dans l’éducation de leurs enfants. Un centre de planning familial a ouvert et les jeunes souhaitent désormais construire de plus petites familles afin de ralentir l’explosion démographique de l’île.

Et la place du tourisme sur l’île ?

Le nombre croissant de touristes motive les habitants à développer d’autres activités (plongée, restauration, souvenirs, t-shirts…) et un droit d’entrée est demandé sur l’île, permettant d’apporter les quelques heures d’électricité par jour, d’améliorer la gestion des déchets, l’entretien de l’école et l’accès à l’eau potable. Ça, c’est ce qui se passerait dans un monde idéal. Evidemment, l’intérêt grandissant des visiteurs entraine quelques dérives (voir plus loin…). Il ne faudrait surtout pas qu’Apo devienne un « deuxième Oslob » (dont je vous raconte mon expérience très bientôt), exemple type d’une future catastrophe environnementale liée à l’appât du gain d’une activité touristique florissante, mais autodestructrice à long terme. Il me semblerait judicieux, tant qu’il est encore temps, de limiter le nombre d’entrées de touristes par jour sur Apo, quitte à en augmenter le prix. Ce n’est certainement pas si simple.

En tout cas, Apo Island est devenu un modèle socio-écologique pour de nombreuses îles des Philippines connaissant une situation comparable et 700 autres sanctuaires marins inspirés de la réussite d’Apo ont vu le jour pour éviter que leur écosystème aille droit dans le mur. Même si tout n’y est pas parfait, les habitants semblent aujourd’hui tous d’accord pour dire que ce sanctuaire marin a sauvé leur île et sa population.

Oserais-je dire que cette petite communauté est un exemple à suivre à une échelle plus globale? En faisant évoluer leurs mentalités, en conscientisant la population, en leur proposant de changer certaines habitudes, en leur montrant que le bon chemin n’est pas toujours celui de la facilité, les habitants souriants d’Apo ont réussi à reprendre en main leur destin tout en améliorant leur qualité de vie et celle de leurs enfants, de façon durable je l’espère.

Quelles tortues ?
Tortues vertes et tortues imbriquées (hawkbill)

Combien ?
Au moins 80 recensées dans la baie il y a quelques années

Ou dormir ?
Deux hôtels sur l’île ; Liberty’s Lodge et Apo Island Beach Resort.
Quelques chambres chez l’habitant dans le village.
Pour plus d’infos sur le Liberty’s, contactez moi !

Mes conseils pour que votre passage par Apo ne soit pas un cauchemar ;

  • Evitez absolument les tours organisés sur la journée. Vous n’en profiterez pas de la même façon et certains « guides » ne sont apparemment pas au point, marchent sur les coraux, permettent à trop de monde d’approcher les tortues en même temps…
  • Il vaut donc mieux prévoir d’y passer au moins une nuit pour vivre pleinement l’ambiance de l’île
  • Ne vous faites pas avoir, rentrez dans l’eau depuis les extrémités de la plage. Au milieu, une partie balisée par des bouées est « contrôlée » par des locaux vous demandant un droit d’entrée de 300 pesos pour nager avec les tortues. Et il ne s’agit absolument pas d’une « taxe écologique » ou d’une participation à la protection des tortues.
  • Ne touchez pas les coraux, gardez la distance avec les tortues et ne les touchez pas
  • Allez dans l’eau au lever du soleil et en fin de journée. C’est à dire avant l’arrivée des bateaux à touristes et après leur départ.

Les tortues et les belles plages, c’est vraiment votre truc ? Allez voir ici mon article sur le projet de conservation des tortues du Bubbles Dive Center des iles Perhentian en Malaisie. Dans cet autre endroit paradisiaque, vous pourrez observer la ponte des tortues, les éclosions des oeufs, les premiers pas des bébés tortues vers la mer…

N’hésitez pas à me donner votre avis ou à poser vos questions en commentaire ou sur la page Facebook de Vetcaetera, je vous lirai avec attention!
Pour plus de photos des Philippines, jetez un oeil à mon compte Instagram!

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